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Jean Chieze, l'imagier

De Jean Chieze, j’ai croisé souvent depuis des années les estampes, au hasard des expositions, des recherches sur le bois gravé, sur le lyonnais Philippe Burnot, sur l’éditeur Charles Forot et d’autres, ou encore dans les cartons ventrus des marchands de gravures. Mais je suis toujours passé à côté de cette oeuvre, comme retenu par la main invisible de l’indifférence ou par le pressentiment d’une désillusion future. L’exposition que lui consacre le Château-Musée de Tournon était l’occasion d’en savoir plus. Allait-elle permettre de confirmer cette réserve - et d’en approfondir les causes -  ou au contraire de la lever ?

Il a fallu d’abord dépasser la déception initiale : car les gravures présentées sont finalement trop peu nombreuses ; et trop me sont déjà familières, même si je ne les ai pas réellement déjà vues et/ou tenues en mains. Je retrouve bien à chaque planche ce métier sûr, cette efficacité du trait, cette précision du dessin qui font sa célébrité, mais il manque toujours à mes yeux ce quelque chose de mystérieux qui fait merveille. Les Saints Patrons, même vibrants d’or, de rouge ou de bleu, tout à fait dans la tradition des images d’Epinal, éveillent ma curiosité mais n’arrivent pas à soulever l’enchantement.

Jean Chieze, Noël vivarois.
Jean Chieze, Noël vivarois.

Jean Chieze, qui se déclare ouvertement « un imagier comme le furent les graveurs de cartes à jouer et d’estampes, un artisan », (c’est avec cette phrase que commence l’exposition) s’inscrit dans la tradition du bois de bout, née à la fin du XVIIIème, et développée dans et par la presse et l’illustration jusqu’à l’épanouissement de la photographie qui l’a supplantée à la fin du XIXème. L’emploi du terme «  imagier » pour se qualifier n’est pas innocent : il le fait s’inscrire dans une pratique, celle du bois de bout que pratiquaient seuls au début du XIXème siècle les fabricants d’images populaires ou de cartes à jouer. La dureté du bois (le buis, un bois dur coupé dans le sens de l’épaisseur du tronc, et assemblé en blocs collés) permet l’utilisation du burin qui laisse des traits fins permettant toutes les nuances : le Noël vivarois, une de ses gravures les plus célèbres, témoigne bien de cet art presque photographique, précis, tout en nuances de gris.

Une tradition qu’avec de très rares artistes il maintient malgré tout au XXème quand la plupart des graveurs, et les plus grands, se sont tournés de nouveau vers le bois de fil, creusé au canif et à la gouge,  qui mène à des estampes au trait moins délicat, aux contrastes violents des noirs et des blancs. Ainsi Jean Chieze, s’il est un maître incontesté de la gravure sur bois de fil, s’il a ses amateurs inconditionnels, n’entre-t-il pas dans les courants dominants de son temps.

En revanche, la vingtaine de gouaches présentées qui ne manquent pas de libertés - pourtant des « gouaches de vacances », semble-t-il, à ce que disait J. Chieze -  et les céramiques, avec leurs dessins préparatoires, simples et naïfs, amènent à nuancer un jugement sans doute hâtif. Il y a peut-être là en effet, dans ces oeuvres plus directes, où l’usage du bois de bout n’impose pas ses rythmes, ses gestes, ses codes, la trace d’un regard et une clef de l’oeuvre : une attention scrupuleuse au monde certes, un souci de simplicité, une humilité qui s’accompagnent d’un désir de synthèse. Qu’on trouve aussi dans les estampes, peut-être trop rarement, et que l’exposition, à notre goût, ne met pas suffisamment en valeur. 

"Bonnieux" de Jean Chieze, in M. Varille, "Le Luberon de Provence", 1942.
"Bonnieux" de Jean Chieze, in M. Varille, "Le Luberon de Provence", 1942.

En revanche, la vingtaine de gouaches présentées qui ne manquent pas de libertés - pourtant des « gouaches de vacances », semble-t-il, à ce que disait J. Chieze -  et les céramiques, avec leurs dessins préparatoires, simples et naïfs, amènent à nuancer un jugement sans doute hâtif. Il y a peut-être là en effet, dans ces oeuvres plus directes, où l’usage du bois de bout n’impose pas ses rythmes, ses gestes, ses codes, la trace d’un regard et une clef de l’oeuvre : une attention scrupuleuse au monde certes, un souci de simplicité, une humilité qui s’accompagnent d’un désir de synthèse. Qu’on trouve aussi dans les estampes, peut-être trop rarement, et que l’exposition, à notre goût, ne met pas suffisamment en valeur.

Il n’en reste pas moins qu’une exposition muséale sur un graveur se devait d’être signalée et encouragée. Félicitations donc au Château-Musée de Tournon ! Il a l’audace de présenter un artiste, non pas seulement parce qu’il célèbre cette région où il est né et venu mourir, mais parce qu’en parcourant la France, selon les hasards d’une vie professionnelle, il s’est voulu finalement assez universel dans son projet de peindre les hommes dans leurs activités les plus simples.

P. B

 

Jean Chieze, au Château-Musée de Tournon

Tous les jours de 14 à 18 heures, jusqu'au 9 juin 2019

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