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Déplacement entre le domicile et le lieu d’exercice de l’activité professionnelle

Il s’appelle Bernard Salomon ; il est peintre et graveur sur bois. Habile. Reconnu : en 1548, il a été choisi par la municipalité lyonnaise comme « conducteur de l’oeuvre de la painctrerie » pour l’entrée royale de Henri II et de Catherine de Médicis à Lyon ; l’arrivée d’un roi dans une ville donnait lieu à des festivités toujours plus spectaculaires : constructions peintes, parades, spectacles, combats de gladiateurs, naumachies… Et de fait, pour l’occasion, il a produit force fresques et peintures.

Il habite à mi-pente dans la montée de Romagny, qui s’appelle aujourd’hui Garillan, cette belle montée d’escalier, un peu négligée et secrète, parce qu’il faut contourner pour la trouver l’hôtel des Gadagni, la famille des banquiers italiens, actuel Musée d'Histoire de la ville de Lyon. Il sort de chez lui, descend la rue, gagne le quai, se dirige côté Royaume, de l’autre côté de la Saône par le pont du Change. Il y a déjà foule de chalands devant les boutiques qui le bordent. Le pont est étroit, des chariots encombrent la chaussée, on se bouscule. Et le Petit Bernard, comme il se fait appeler, est sombre, plein de doutes. Son souci ? Le succès, relatif bien sûr, ne suffit pas totalement à nourrir son homme, et sa famille, Anne sa femme adorée et ses deux enfants, Antoinette et Jehan. On vit mal. Pas de commande en vue de façade à décorer à la fresque. L’imprimeur Jean de Tournes pour lequel il a dessiné l’année précédente les bois d’une édition des Emblèmes d’Alciat tarde à lui proposer autre chose. Il repasse en pensée la lettre qu’il vient d’écrire à la municipalité, pour réclamer ce qu’on lui doit. Il espère n’avoir rien oublié de ce qu’il faut dire pour plaire à ces seigneuries.

 «  A messieurs de la ville

Supplie très humblement Bernard Salomon, autrement le Petit Bernard, peinctre de Lyon et vostre

simple serviteur, que comme il est sorty au moindre déshonneur qui lui ha esté possible de la besongne et charge que luy aviez baillée, vous plaise avoir esgard aux veillées et aux patrons qu’il ha faits outre sa besongne ordinaire, et aussi soit vostre bon plaisir avoir souvenance de la récompense qui luy fut promise au commencement de l’oeuvre. (…) Par quoi de rechef vous supplie le susdit vostre serviteur qu’il plaise à voz bonnes grâces et preudhommies l’avoir pour recommandé, car il est povre des biens de ce monde et en ce faisant ferez bien et luy accroistrez le courage de bien et loyalement vous servir quand aurez besoin de son peu de savoir.  Le Créateur vous maintienne tous en sa bonne grâce. »

B. Salomon, Adam et Eve, in Figures de l'Ancien Testament, 5,7 x 8cm, Jean de Tournes imp.
B. Salomon, Adam et Eve, in Figures de l'Ancien Testament, 5,7 x 8cm, Jean de Tournes imp.

Mais voilà la rue Mercière, c’est là qu’il travaille, chez l’imprimeur Macé Bonhomme. Là sont les bois sur lesquels il va dessiner, et peut-être graver lui-même. L’oeuvre en cours ? les illustrations du livret commémorant l’entrée royale à laquelle il a participé. Important certes, mais pas de quoi laisser un souvenir de louange éternelle aux époques futures. En attendant des jours meilleurs…

 

 

Dans son testament on lit ceci :

« 15 octobre 1559 Testament de Bernard Sallomon, painctre.

Au nom de Dieu (…), personnellement établi honneste homme Bernard Sallomon, peinctre demeurant audit Lyon, (lequel de son bon gré et certaine science, étant) sain de ses personne, sens, mémoire et entendement, par la Dieu grâce, (néanmoins icelluy Sallomon) considérant et bien acertain qu’il est rien de certain que la mort ni chose plus incertaine que l’heure d’icelle a testé, disposé et ordonné comme s’ensuyt… »

 

 

Cet homme-là me parle et me plaît, si loin, si proche. 

 

 

 

Arpentant les salles du Musée de la Faïence à Nevers, en novembre dernier, je tombe sur une majolique italienne dont le cartel indique à peu près ceci : « D’après un bois de Bernard Salomon, tiré des Métamorphoses d’Ovide, publiées en 1557 chez le célèbre éditeur lyonnais Jean de Tournes. » Dans toute l’Europe, pour la majolique, la tapisserie, l’édition, les émaux, la marqueterie, les artistes ont réutilisé ses dessins et il ne l’a probablement pas su.

 

Aucune invention ici. Tout est vrai, documenté. Les archives municipales de Lyon conservent même un acte qui nous donne la somme à lui donnée après sa supplique… Mais on ne sait presque rien de lui.

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Commentaires: 2
  • #1

    Isabelle Fraysse (dimanche, 22 mars 2020 09:55)

    Ah oui intéressant, je ne connaissais pas ce "petit homme" artiste graveur de nos ancêtres à la vie difficile comme beaucoup d'artistes aujourd'hui.
    C'est touchant, j'aimerai voir ses gravures sur bois.
    Merci Philippe, moi je suis beaucoup dans mon atelier et dans mon jardin à St Laurent d'Agny mais je cherche et garde des contacts par le réseau internet.
    Amitiés
    Isabelle F.

  • #2

    gérard Klein (dimanche, 22 mars 2020 12:54)

    J'apprends de ce récit au décors précis, et de son illustration qui semble nous être familière mais son auteur perdu dans l'histoire de l'art... Mais pas seulement... un saut spatio-temporel de quatre cent cinquante ans nous montre que ces pratiques n'ont pas beaucoup changé; je sais quelques exemples contemporains où des des "grands" ont mis sur la paille des artistes et des artisans en n'honorant pas le travail réalisé malgré une commande formalisée. J'ai eu à connaître la formule " faites nous un procès, si vous voulez...", les points de suspension signifiant "et vous ne travaillerez plus à Lyon!".
    Autres temps autres mœurs? Ben non !
    Ma chienne , qui attend son tour de sortie (dûment autorisée à moins de 2km par les autorités) juge mon message déplacé " tu mélanges tout, les émotions artistiques n'ont rien à voir avec tes considérations négativistes". Elle a peut-être raison; mais peut-on disséquer la vie et l'histoire des hommes et en mettre les abats au frigo, un bout foie, un bout de cœur, un morceau de cerveau , un œil ou deux ?- A voir.