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Sans nom

Parmi les estampes serrées dans mes cartons, se trouvent un certain nombre de pièces anonymes. 

 

Je ne parle pas ici d’estampes non signées mais répertoriées, cataloguées d’un artiste connu, célèbre ou non.

Celles-ci peuvent être à bon droit désirées, recherchées, d’autant que l’usage de signer au crayon (et de numéroter) les estampes ne date que de la deuxième moitié du XIXème siècle. Il n’était même pas systématique, avant cette date, de signer comme on dit « dans la planche », c’est à dire de signer avec la pointe dans le dessin même, de sorte que la signature, le monogramme, sont indissociables de l’estampe.  Ce qui laisse ouvert un champ d’exploration immense. 

L’habitude consistait plutôt, pour l’artiste et l’imprimeur ou éditeur, à reconnaître leur petit en ajoutant ce qu’on appelle la « lettre », une sorte de carte d’identité, nom de l’artiste, titre de l’estampe, nom de l’imprimeur et son adresse, le long du trait inférieur de l’estampe, généralement en caractères d’imprimerie. 

 

Non, je parle de ces estampes qui ne sont pas signées, et dont on ne sait qui les a enfantées : véritablement anonymes, enfants perdus, et sauvés de l’oubli, adoptés par l’âme charitable d’un homme qui a eu, non pitié d’elles, mais qui a entendu leur cri d’appel. Qui a trouvé en lui ce je ne sais quoi qui fait naître une attirance.  A la rubrique « Inconnus" de ma liste, (« Mille e tre, mille e tre », chante Leporello chez Mozart), plusieurs sont là, attendant leur papa, ou leur maman d’ailleurs (Voyez comme on est, quand même !)

Par exemple, celle-ci, ce paysage aux meules ( 9,1 x 15 cm) : une ligne d’arbres, l’ondulation de champs, deux meules de foin (j’entends d’ici des mauvais esprits qui verront autre chose), au bord d’un chemin qui file à l’horizon, au fond la silhouette ombrée d’une ferme. Le papier est un Arches, assez épais, d’assez bonne qualité, mais jauni et piqué de moisissures. Aucune trace manuscrite. La gravure, une eau-forte, sans trace de pointe sèche, est aussi d’un bon graveur : le ciel, tout en nuances de gris, laisse voir des traces de brunissoir, d’essuyage, peut-être même la planche a-t-elle été mordue une seconde fois. L’esthétique semble celle de la période comprise entre 1880 et 1930. Faute de pouvoir consulter le catalogue raisonné de tous les graveurs contenus entre ces deux dates, elle restera anonyme, jusqu’à ce qu’un hasard me mette en présence d’une de ses soeurs, dûment identifiée…

 

J’ai cru un jour rencontrer son signalement, dans une notice du catalogue non illustré des eaux-fortes d’Alphonse Legros (1837-1911), bourguignon devenu londonien, un graveur très estimable, qui a le mérite de figurer dans le célèbre tableau du musée d’Orsay, Hommage à Delacroix de Fantin-Latour, avec Baudelaire, Manet, Bracquemond, et d’autres, dont aussi Champfleury qu’on a rencontré récemment à propos de Chien-Caillou, ( comme le monde est petit !), mais revenons à la notice : 

 

 « N° 108 : Le paysage aux meules.

Groupes d’arbres à gauche ; au centre, corps de ferme et deux meules de paille au bord d’une route qui traverse un paysage à terrains ondulés ».  

 

Mon sang ne fait qu’un tour. La voilà ! Victoire ! Je la recherche, la trouve, et nouveau regard sur la notice. Hélas ! les dimensions ne correspondent pas les arbres ne sont pas du bon côté. Abattement. En plus ma petite protégée a des cousines, presque pareilles, qui en réduisent l’originalité… Si tout le monde a fait des paysages aux meules, alors…

 

Mais baste. Telle quelle, elle me plaît. Le « je ne sais quoi » de plaisant, ici, outre le motif qui fait remonter des émotions anciennes liées aux impressionnistes, à leurs paysages de l’Oise, vient probablement du ciel si lumineux de cette fin de jour d’été ; le soleil pas encore couché, mais noyé dans la brume du soir, baigne encore les champs de sa chaleur, pèse sur les ondulations quasi marines, fait trembler les lointains, confondre la ferme et la terre.

Mais comme le dit le proverbe flamand : « Le monde est une meule de foin, chacun y prend ce qu'il peut attraper. »

 

 

PS : Si quelqu’un a une idée, je suis preneur.

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Commentaires: 1
  • #1

    Suzanne Paliard (dimanche, 19 avril 2020 06:52)

    Pas d'idée....
    Mais j'aime !!!!