· 

Transporté

Dans mes cartons, les graveurs du XXème et XXIème, dont je possède plus de dix estampes sont rares : une dizaine sur cent quatre-vingt artistes différents. C’est peu. Le champion, c’est Michel Moskovtchenko. Certains de mes lecteurs savent que j’ai entrepris avec lui un catalogue raisonné de son oeuvre gravé. Il m’arrive encore d’en acheter.  Ce n’est pas sans raison.

La première eau-forte de Michel Moskovtchenko, je l’ai rencontrée chez un marchand spécialisé de gravures en décembre 1998. Presque carrée, un peu plus haute que large, elle mesure 21,7 x 20 cm. C’est encore une de mes préférées.

Elle se présente sur un beau papier gris bleuté, épais, solide, de 25 x 32 cm, du Moulin Richard de Bas, qui fabrique, encore aujourd’hui, un papier à la cuve renommé. Un moulin toujours présent en moi, puisque vit encore dans ma mémoire le charme un peu mystérieux d’une visite intéressante faite il y a très longtemps : le battement sourd et régulier des marteaux de bois, mus par la force du ruisseau sur la roue à aubes, me trotte encore dans l’oreille. 

 

Je me laisse encore maintenant étonner par cet amoncellement de traits, que je n’ai vu que dans le travail de cet artiste : on est très loin des hachures régulières, parallèles généralement utilisées pour ombrer ; ce ne sont pas non plus les griffonnements à la Rembrandt. Ici, c’est un fouillis irrégulier de traits nets, creusés dans le cuivre ou le zinc d’une pointe qu’on imagine nerveuse, pressée ; de là émerge la silhouette de deux arbres courts, chênes verts probablement, propres aux collines caillouteuses et sauvages, sèches, chaudes et silencieuses, de Provence.  Peu de blanc, sauf dans un ciel lui-même obscurci par des hachures verticales qui suggèrent des nuages ou le poids écrasant du soleil.

 

C’est une gravure qui me transporte littéralement : dans une forêt basse, un maquis presque, où on suffoque parfois à cause de la chaleur accumulée ; la plénitude de la lumière y éclate en taches blanches comme sur une photo surexposée ; lieu impénétrable et qui ne laisse rien voir au-delà. On n’y entend que le bruit de ses pas sur les feuilles et les brindilles sèches. On est loin du monde, loin de la civilisation. 

 

Je ne savais pas alors qu’elle n’avait pas été tirée en nombre, mais seulement à quelques exemplaires. 

Datée de 1965, notée comme épreuve d’artiste, cette estampe prend place dans la période d’apprentissage de la gravure par Moskovtchenko, en 1964 et 1965. Elle ne figure donc pas dans le catalogue que j’ai publié, qui ne comporte que les gravures tirées en nombre, c’est-à-dire numérotées et d’au moins une vingtaine d’exemplaires. 

Cela me rend clair maintenant qu’il faudrait, pour achever l’aventure éditoriale et s’approcher d’une recension complète - pour un catalogue raisonné il faudra attendre un amateur dans un siècle ou deux -, proposer un supplément au catalogue, comprenant tous les essais de gravure entrepris par l’artiste. Et ils sont nombreux.

Écrire commentaire

Commentaires: 4
  • #1

    gérard Klein (mercredi, 29 avril 2020 20:35)

    j'avais déjà remarqué,dans la colonne de droite, la mention du catalogue de cet artiste; il n'y a pas d'indication de l'éditeur ou de l'endroit où on peut se le procurer, ce que j’aimerais pouvoir faire.

  • #2

    PB (samedi, 02 mai 2020 11:18)

    Pas de problème, cela me fait plaisir de te l'envoyer...

  • #3

    gérard Klein (samedi, 02 mai 2020 15:12)

    C'est très sympa de ta part , mais l'acheter en librairie (spécialisée ?) aurait du sens , non ?
    Mon idée est que "le hasard du confinement" m'a ouvert une fenêtre sur un monde que je ne soupçonnais pas ; je voudrais comprendre mieux et donc me documenter...
    Je commanderai via mon petit libraire d'Oullins, les "Eaux Fortes" de Tardy et Pierre Gras (j'ai connu ce dernier, je crois, dans une vie professionnelle antérieure; il était journaliste...)
    Je pensais faire de même avec Moskovtchenko...

  • #4

    PB (samedi, 02 mai 2020 20:45)

    On ne trouve plus à Passages, mais chez Descours sans doute. Ou à l'URDLA.
    Cela dit, il n'y a pas d'éditeur au sens commun du terme. Si tu ne le trouves pas, je te l'envoie.