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Graveuse/graveur

Non, la question n’est pas de savoir quel mot utiliser pour nommer les femmes qui gravent. Mais de parler des femmes elles-mêmes, de celles qui gravent.

Depuis le début de ce journal, mon clavier hésite : doit-il en parler ? Il commence et s’arrête… Pour en dire quoi ?  Constater la place des graveuses dans l’histoire de la gravure ? 

Première approche dans mes cartons d’estampes. Sans entrer dans le détail, peu de femmes, sauf pour la période contemporaine. 

Sur un plan plus général, une histoire de la gravure est une histoire masculine. Les femmes y sont, jusqu’au XXème siècle, rares. Plus rares que les femmes peintres ?

Il ya des femmes peintres dans la région au XIXème siècle : les Salons présentent la trace de leurs noms. Leur peinture, souvent l’aquarelle, s’est perdue. Pourtant je n’ai jamais eu connaissance d’une graveure. Dans la table des matières de La gravure, les procédés, l’histoire, de Jean-Eugène Bersier, des origines au milieu du XXème, on recense 3 % de femmes, toutes du XXème siècle.

Angèle Delassale, "Coin de fonderie", eau-forte, 1910.
Angèle Delassale, "Coin de fonderie", eau-forte, 1910.

Cette absence interroge. 

On s’étonne à plus forte raison qu’une Claudine Bouzonnet en France, une Anna Maria de Koker en Flandres, dans la deuxième moitié du XVIIème, aient pu graver. Et qu’on recherche et apprécie encore leurs gravures.  Chapeau, mesdames ! 

Au XVIIIème et au XIXème, personne ?

Cela revient doucement au début du XXème siècle. (Cassat, Laurencin, Possoz..)

 

La question s’inscrit dans le problème plus général des femmes dans l’art tout court. Problème non résolu. On a décrit depuis des années le fonctionnement des choses. Le milieu de l’art est un univers très masculin, plus qu’ailleurs peut-être : la direction, l’animation, la présentation, la critique, l’acquisition, la vente, la promotion sont essentiellement masculines. Pourtant dans les arts plastiques, plus de femmes que d’hommes. Ecoles d’art de Paris : 60 % de femmes. Artistes femmes reconnues : moins de 10 %. 

 

Geneviève Asse, "Printemps", 2004, aquatinte et pointe sèche, 38 x 28.
Geneviève Asse, "Printemps", 2004, aquatinte et pointe sèche, 38 x 28.

En gravure, de même. Aujourd’hui on rencontre plus de graveuses que de graveurs. 

En France, parmi les artistes contemporains qui pratiquent la gravure, lesquels célèbre-t-on ? Soulages, Alechinsky, Deroubaix, Desmazières … Qu’on me donne le nom d’une femme ! 

 

Cette situation pose la question adjacente de la valeur. Celle-ci, tant esthétique qu’économique, résultant d’un système largement dominé par les hommes pour des hommes, doit être relativisée. Elle n’est ni absolue, ni objective, ni définitive.

Pour ce qui est de voir changer les choses, pas de raison d’être optimiste. Tout au moins à l’échelle d’une vie d’homme. 

Ce dont l’amateur peut se réjouir, c’est qu’il existe de nombreuses artistes qui gravent, que leurs oeuvres procurent du bonheur, et qu’elles sont accessibles. On  peut se laisser guider par ses désirs, ses impulsions. Et, si l’on est joueur, si l’on pense à après-demain - une génération ou deux ! - , c’est l’occasion rêvée de laisser parler son flair…

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Commentaires: 4
  • #1

    MRB (jeudi, 07 mai 2020 22:30)

    "En gravant j'écris et à la fois je m'inscris". Geneviève Asse

  • #2

    gérard Klein (vendredi, 08 mai 2020 19:42)

    Magnifique image d'une activité où les femmes étaient exclues, comme au fond de la mine , "mauvais œil oblige".
    Peu de femmes graveuses?
    J'ai hésité, mais j'ose ! Si on ne peut le faire ici, où le pourrait-on ?
    Oser esquisser une une piste d'explication genrée.
    Tout jeune garçon un peu campagnard a coupé des branches pour fabriquer un bâton de marche ou de combat, un arc et ses flèches, un poignard etc... Souvent le stade suivant était la déco par découpe de l'écorce , l'incision...Réminiscence des ancestrales pratiques des bâtons sculptés, ceux des berger, ou des chamanes, ou des chefs de tribu. Traces laissées dès les temps paléolithiques et suivants. Graver le bois, c'est créer une blessure, c'est exercer une violence à un corps, à l'inverse d'une peinture qui est une sorte de caresse. Le mâle dominant a tôt fait la guerre, détruit, chassé, tué, blessé, incisé. La femme a tôt défendu la vie, nourri, soigné, tissé, poli...Quelques centaines de milliers d'années de pratique, ça doit bien laisser quelques aptitudes préférentielles.
    Ce n'est pas une question de genre de la sensibilité artistique , mais il y a , peut-être ancré, un choix du geste moins violent...
    " tu es vraiment gonflé" me souffle ma chienne Plume" qui sait bien montrer ses crocs se faire respecter par les mâles de ses parcours quotidiens.

  • #3

    PB (samedi, 09 mai 2020 11:39)

    Ouais... Cela fait partie des possibles.
    Mais graver, ce n'est pas seulement blesser, c'est aussi laisser une trace. Et cela, produire ce qui nous survit, enfanter, c'est bien féminin, non ?
    A la base, l'étymologie : graver/graphein (écrire), comme le rappelle G. Asse, citée ci-dessus.


  • #4

    gérard Klein (samedi, 09 mai 2020 13:31)

    Bien sûr...et les statuts assignés par l'histoire sont faits aussi pour être transgressés, avec ou sans révolution.