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Premières gravures

Il y a trois semaines, le 21 avril, je racontais l’histoire peu croyable de la première gravure de Camille Corot. Et j’invitais ceux de mes lecteurs qui sont graveurs à témoigner de leur expérience personnelle. A montrer et à raconter aussi, s’ils avaient quelque chose à en dire, leur première gravure. Cette première fois capitale, fondatrice en tout cas pour eux puisque restés graveurs.

 

Répondre n’était pas toujours possible.

Beaucoup, j’imagine, ne sont plus en possession de cette première gravure. C’est ce que m’écrit si gentiment Martian Ayme de Lyon : « Ma première gravure ? C'était au lycée Ampère, c'était en cours de dessin (pas encore arts plastiques !), le prof dont je ne me rappelle pas le nom était un grand costaud que nous craignions tous, la salle était immense, et c'était d'après un dessin que nous avions préparé et reporté sur un petit lino… Mon lino, c'était un navire du XVIIIè avec mats et vergues ; je l'ai encore... J'aurais aimé vous en faire un tirage, mais il est en ce moment dans une malle à la campagne, et avec le confinement… ». Merveilleuse réponse, où la générosité de la gravure et celle du graveur se révèle tout entière. La feuille finale n’est plus, mais la matrice conservée avec soin s’offre à servir de nouveau, et le graveur à officier. 

 

Répondre était par ailleurs courageux et périlleux. Il faut passer par les mots, d’abord. D’autant qu’il s’agit de partager une expérience sensible, très personnelle, du processus de création. C’est-à-dire de mettre au jour, mettre à jour peut-être, des sentiments, des émotions, des pensées qui relèvent de l’intime, liées aux ressorts les plus profonds de l’être. Qui ne concernent pas le public, même bienveillant.

Ensuite une première gravure est toujours un peu un essai de gravure. On sait bien qu’il s'agit d'un médium complexe, qui met en jeu des gestes spécifiques, des savoirs techniques, des compétences que la pratique seule permet d’acquérir. 

Quelques réponses sont venues.  J’en remercie très chaleureusement les auteurs. 

Cela va faire une page un peu longue, beaucoup trop longue et lourde, diront les spécialistes de l’efficacité de la communication, pour une lecture sur la toile. 

 

Mais les lecteurs ici sont des happy few qui ne se laissent pas désarçonner pour si peu. Et l’étonnante diversité et la richesse des propos leur permettra sans aucun doute de mieux comprendre ce qui est en jeu dans cette opération miraculeuse qu’est la gravure. 

 

 



Danièle Berthet, "Carte noire", 2000, 15 x 15.
Danièle Berthet, "Carte noire", 2000, 15 x 15.

 Je dessine et peins depuis longtemps, et l'architecte-peintre-sculpteur qui tenait un atelier où j'allais souvent dessiner me poussait vivement à faire de la gravure, mais cela ne m'attirait pas du tout, j'imaginais cette technique rigide et contraignante...

J'ai fait aussi beaucoup de modelage et sculpture, entre autre à l'Ecole d'Art de Chambéry, où se trouvait un atelier de gravure vétuste et inoccupé; le jour où je l'ai vu ouvert j'y suis entrée, par curiosité...

j'ai décidé d'essayer, et j'ai voulu tester sur ma 1ère plaque de cuivre toutes les techniques de base qu'on venait de m'expliquer : vernis, vernis mou, aquatinte, sucre, j'y ai ajouté quelques bidouillages à ma manière ( dissolution du vernis avec chiffon imbibé de white spirit ...), et voilà !

J’étais très contente du résultat, comme tous les débutants! J'ai surtout découvert que la gravure offrait une multitude de choix à toutes les étapes, je n'ai plus cessé d'explorer toutes les possibilités, les matrices en matériaux les plus divers...

Cette gravure ne ressemblait pas du tout à mes dessins, et il y avait déjà dans ce premier essai tout ce qui ferait ma recherche ensuite, recherche de matières essentiellement, d'ombres, de nuances ... 

 

Danielle Berthet

Véronique Gay, eau-forte.
Véronique Gay, eau-forte.

J'avais fait une photo de ma première gravure à l’époque. Heureusement, car je ne l'ai pas retrouvée à la maison, à moins qu'elle soit restée à l'atelier.

Il s'agit d'une eau-forte, première expérience, mes premiers pas dans la pratique de la taille-douce.

Le chemin est long, et je n'en suis qu'au tout début encore aujourd'hui, mais ce fut une très belle découverte pour moi : « La gravure m'a mordue, comme l'acide sur la plaque de cuivre ; et on en a pour la vie, et c'est loin de me déplaire ! »

Quoiqu'il en soit, je suis attirée depuis longtemps par tout ce qui touche à l'impression, dans sa définition de « presser quelque chose sur quelque chose dans le but d'obtenir une trace, une empreinte », et aussi par tout ce qui tourne autour du végétal. J'ai expérimenté plusieurs techniques ces dernières années me permettant de concilier les deux, et il me semblait qu'expérimenter la gravure allait dans la continuité de cette démarche. Et j'ai eu cette opportunité, et ce fut en effet une « très belle découverte » comme je le disais car la gravure permet de répondre à ce cheminement qui est le mien.

Ce n'est pas en soi la morsure qui m'attire le plus, mais plutôt le travail de l'encrage-essuyage et le passage sous la presse, le moment ultime où l'on va découvrir si toutes les étapes qui ont été nécessaires pour en arriver là vont donner le résultat tant attendu. J'avoue que 9 fois sur 10 je suis déçue du résultat car il ne correspond pas à ce moment précis à ce que j'avais pu imaginer, mais c'est malgré tout gratifiant car c'est une motivation pour le prochain tirage ! Et puis je fais de la gravure pour expérimenter, chaque étape du processus trouve son intérêt à mes yeux.

 

Véronique Gay


Philippe Tardy, La résurrection manquée", eau-forte et aquatinte sur zinc, 1981.
Philippe Tardy, La résurrection manquée", eau-forte et aquatinte sur zinc, 1981.

C'était en 1981, un après-midi de septembre, au siècle dernier donc ; j'étais au volant de la dyane vert pomme que m'avait prêtée ma mère et je me rendais pas très rassuré, je l’avoue, à Jarnioux dans le Beaujolais pour mon premier cours de gravure!

J'ai fait la connaissance de ma prof Ricky Barbier, fille et petite-fille de peintre et graveur ; j'avais 21 ans et je sortais d'une expérience heurtée, comme on dit, avec les écoles d'art.

J'étais un peu perdu comme on peut l'être à cet âge-là et quand on veut embrasser la carrière artistique mais qu’on ne sait pas bien par ou commencer.

J'ai travaillé avec Ricky pendant une bonne dizaine d'années. Devenu un  peu plus expérimenté dans les techniques de l’eau-forte, j'allais imprimer tous les mercredi après-midi dans l'atelier de son père Luc Barbier; il avait une presse magnifique en fonte avec un plateau en bois dur et une lourde croix noire qu'il fallait faire tourner aves beaucoup d'efforts car il n'y avait pas  de démultiplication ; elle trônait dans une grande pièce un peu négligée au milieu d'un fatras de papiers humides et de débris poussiéreux ! On faisait nous-mêmes les encres et on encrait les plaques de zinc au tampon comme autrefois ! C'était des conditions un peu difficiles mais le pire c'était les deux énormes couffins usés et malodorants qui gisaient dans un coin de la pièce, couffins qui la nuit accueillaient les deux corps poilus et monstrueux de deux très énormes et très affectueux beaucerons ; j'ai  bien dit poilus et ces deux chiens avaient pour manie de s'ébrouer sans arrêt et de semer à tous les coins un nuage de poils, élégants petits traits roux, droits et collants qui venaient se réfugier au plus profond des langes, se mêler délicatement aux pigments des encres et de s'entremêler aux fibres noires des tarlatanes qui séchaient!bref, chaque mercredi après-midi, je nettoyais  la pièce en râlant.   

Je vous fais parvenir l'image de ma première gravure que j'avais réalisée avec Ricky et que j'avais tout de suite nommée: « La résurrection manquée ». C'était il y a longtemps au siècle dernier!

 

Philippe Tardy


Odile Gasquet, "Sur la route", collagraphie, 10 x 10.
Odile Gasquet, "Sur la route", collagraphie, 10 x 10.

Nous sommes au début des années 2000, je viens de m'installer à Lyon. A Paris, où j'ai déjà exposé de nombreuses fois, j'ai été sélectionnée pour le très prisé Salon de Montrouge, et j'y présente un grand triptyque de 3m x 1,5m, acrylique et huile sur toile, très coloré, sur le thème de l'improbable rencontre homme/femme.

A Lyon, je rencontre une dessinatrice et graveur (qui deviendra une amie) nous parlons peinture, gravure... d'emblée, je lui raconte qu'au cours de ma formation au Conservatoire d'Arts plastiques, puis aux Ateliers de la Ville de Paris, j'ai tout aimé sauf la gravure, que je trouve ennuyeuse et trop technique!

Elle me rétorque que pas du tout... et me parle de collagraphie, je fais vraiment la moue, incrédule...  à bout d'argument, elle me dit que je n'ai qu'à essayer et d'ailleurs, qu'elle veut bien me faire une formation. Pour ne pas être parfaitement impolie, j'accepte.

 

Me voilà dans un petit atelier, à découper des plaques de carton, que je dois vernir pour les durcir, puis je peux intervenir dessus avec toutes sortes de matériaux improbables : papier de verre, enduit de rebouchage, tissus de gaze, carton ondulé, carborundum, je peux graver des motifs avec une pointe sèche mais aussi à la fourchette, à la spatule ...  bref un vrai plaisir iconoclaste, je m'amuse, ne vois pas le temps passer et me prends au jeu... si bien que je passe de compositions colorées de 3m x 1,5m  à un format de 10cm x 10cm tiré en noir. Et une série de petits paysages sortent d'une presse qui me fait des surprises à chaque tirage.

Ce plaisir spécifique de la création d'estampe avec l'inversion du sujet et de cette émotion bien particulière lorsqu'on soulève le papier de la plaque, ne m'a pas quittée. Une quinzaine d'années après ces premiers émois, j'ai toujours l'impression d'avoir des choses à découvrir et à apprendre de la gravure, mon intérêt pour les plaques de métal s'est affirmé, mais j'ai toujours gardé avec moi ces premiers tirages de plaques en carton.

 

Odile Gasquet

Présidente de l'association de graveurs L'Empreinte de Lyon

L'Empreinte, association de graveurs lyonnais.

 


Cette gravure a 2 histoires, une courte et une longue. Je retiens la courte pour ton projet.

Eau-forte, sur zinc, mordue au chlorhydrique, cuvette 12,5 X 19,5. Influencée par Maria Héléna Viera Da Silva. C'est l'exposition Giorgio Morandi, novembre/décembre 1978 au musée des beaux-arts de Lyon qui m'a donné envie d'essayer.

 

Jean-Philippe Bui-Van


Marité Bordas, 1985
Marité Bordas, 1985

Aucune trace de ma toute première gravure qui était un burin. Il n’y avait aucune épreuve d’état, seulement un tirage. On peut donc considérer que celle que je vous propose est ma première épreuve d’état, puisque c’est avec celle-ci, que j’ai découvert le fameux EE. Je ne voudrais pas tricher.

Un premier état, tiré sur un papier très, très ordinaire, et numéroté de deux côtés.

 

La plaque avait été travaillée dans les deux sens, et à ce stade là, n’avait ni haut, ni bas.

C’était en 1985, rue Burdeau, avec Sylvie Maurice, à l’Atelier ALMA. Effectivement, je n’oublierai jamais cette période, la force des découvertes faites ensemble et le plaisir d’un atelier collectif.

 

Marité Bordas 


 

 

 

 

" Palinpseste", ma première gravure.

C'était aux Beaux-Arts, au siècle dernier.

 

Monique Rey Barthélémy

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Commentaires: 2
  • #1

    MRB (lundi, 11 mai 2020 15:44)

    Pendant le confinement la nourriture fut parfois un exutoire...
    Le Journal des Confins, durant "cette étrange et inimaginable période", nous a nourris.
    Merci!

  • #2

    suzanne Paliard (samedi, 16 mai 2020 10:36)

    Merveilleux article de ton blog Philippe, ces témoignages d'amis graveurs sont très émouvants, amusants, et nous parlent à tous.... je n'ai pu participer mais j'aurais pu : j'ai toujours gardé mon premier carton de collagraphie où, un peu comme Danielle B. j'essayais de tout tester avec passion, les effets de matière, les reliefs, les épaisseurs de traits, et au moment de l'encrage, les couleurs !! Tout ! donc Trop évidemment,.... Ce premier essai me fait rire quand je le revois... je te le montrerai un jour, en dehors de ce journal des Confins qui se termine hélas, mais qui a été un compagnon de qualité pendant ces jours calme et quotidiens, violents et étranges, jours qui vont se prolonger pour moi, avec l'espoir de jeter enfin sur le papier ou la toile ce qui a été si fort pendant ce printemps 2020.
    Merci Philippe de ces mots toujours élégants et beaux, qui entourent les images que tu aimes. A bientôt dans l'autre vie....