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Margot Rebaud, entre tremblement et transparence.

Margot Rebaud est une jeune artiste plasticienne. On avait vu des estampes de son travail à la Triennale de Chamalières en 2021 et elles nous avaient grandement intéressé. Ce sont des estampes intitulées un peu savamment Vedute del Canal del’Ourq, d’une manière très XVIIIème, rococo, qui leur donne une profondeur supplémentaire. Même si l’ostentation et la légèreté de ce siècle nous écoeure, nous barbe, à vrai dire. Selon le curriculum de notre artiste, ses premiers travaux ont été des recherches sur la photographie et l’image numérique. Voila qui nous plaisait : une graveure aussi photographe. On l’a donc rencontrée. En réalité, Margot Rebaud se veut aujourd’hui moins photographe que graveure. Dans son travail, dit-elle, les photographies, au même titre que les dessins, servent de répertoire de formes pour le désir de graver.  Ah ! Que voilà un désir dont on se réjouit ! 

 

Cette veduta, donc, qu’est-ce ? Le reflet d’une façade plus que la façade elle-même. Un regard attentif à la réalité du visible, espace naturel ou urbain, choisi non pour son caractère sublime ou exceptionnel. Pour le banal, le familier. Ce que d’ordinaire on ne voit pas. Effort poétique, peut-être ? C’est aussi un regard qui se pose sur un visible fuyant, mouvant, transitoire, facilement réduit à un instant, voué à disparaître.

Série "Vedute del Canal del’Ourcq", Veduta 1 2019 Eau forte, aquatinte, burin, pointe sèche  20 x 29,5 cm (cuvette), 33 x 45 cm (feuille)
Série "Vedute del Canal del’Ourcq", Veduta 1 2019 Eau forte, aquatinte, burin, pointe sèche 20 x 29,5 cm (cuvette), 33 x 45 cm (feuille)

Et puis on a regardé plus en détail son travail, dans sa modeste étendue. Ce qui frappe, c’est sa cohérence : au départ, des végétaux ou des architectures reflétées dans l’eau, des paysages (sommets de montagnes ou alignements d’arbres dans la plaine) mangés par la brume, des arbres qu’effacent à la fois les vitres embuées d’une fenêtre et l’hiver qui les dépouille de leur feuillage. Voilà qui dit l’instabilité du monde, sa fragilité, ce qui peut-être nous ramène au XVIIIème siècle et à ses inquiétudes de monde menacé. A l’arrivée, ce sont des estampes qui portent trace de quelque chose, reconnaissable ou non, qui a été et qui n’est plus. Des images tremblées d’une réalité brouillée, déformée. La gravure, avec ses étapes successives, ses bains, ses impressions multiples, cherche à reproduire ce mouvement, et finit par saisir un instant ; l’art pourrait être la tentative de fixer le temps, qui voue toute chose à la disparition. 

-Paysages 2018 Gravures sur rhénalon superposées (encrées ou non) 9x6 cm (plaque)
-Paysages 2018 Gravures sur rhénalon superposées (encrées ou non) 9x6 cm (plaque)

Ce même mouvement est réellement perceptible dans les oeuvres sur supports transparents ( plexiglass ou rhénalon ) qui servent l’intention esthétique : le support gravé laisse voir ce qu’il y a derrière, un  mur d’un certain matériau, d’une certaine couleur, une autre estampe, un autre support plexiglass, ou l’ombre même qu’il fait sur le mur. Oeuvres tremblantes cette fois, mouvantes dans la mesure où le spectateur se déplaçant en modifie les effets.

 Par un renversement, qui, selon des lectures opposées, peut augmenter l’inquiétude ou au contraire constituer un appui rassurant, tous ces travaux entrent dans des cadres soulignés, un quadrillage  (titre d’une des oeuvres : « Nature quadrillée »), contrepartie au caractère mouvant du réel. Damiers irréguliers des fenêtres d’une façade, ou vitres à carreaux derrière laquelle flottent des rideaux, ou qui laissent deviner quelque chose. Ce sont aussi les juxtapositions (faute de superposition ?) d’estampes carrées disposées sur la même feuille, les formes géométriques, les lignes nettes qui révèle un goût pour l’architecture. Dans d’autres oeuvres, on trouve des « Murs », des fragments de bâtiments, des pierres de construction aux graffitis devenus illisibles. C’est qu’il faut bâtir une oeuvre. Faire que cela tienne. En dépit de la fragilité du monde et du regard. 

 

Les titres, quand il y en a, prolongent la réflexion, comportant seulement indication toponymique et/ou date, ou parfois terriblement objectifs, d’une dureté de diamant (« Un train passe », on adore ! ). On pense à Philippe Jaccottet :  « L’effacement soit ma façon de resplendir ». Oui, mais pas trop, s’il vous plaît, a-t-on envie de dire…  L’artiste, aujourd’hui, disparaît derrière le processus, le protocole, la recherche. C’est peut-être dommage.  Mais Margot Rebaud  est une artiste en devenir, et qu’on suivra avec attention.

 

 

Et on ira la voir à la 5ÈME ÉDITION TRIENNALE INTERNATIONALE DE GRAVURE EN TAILLE DOUCE à Lisle-sur-Tarn, du 18 mars 2023 au 30 juin 2023. Avec une invitée d’honneur Claire Illouz dont nous avons chaudement parlé ici. Et dans un lieu, le musée Raymond Lafage, qui porte le nom d’un graveur tout à fait fameux du XVIIème siècle. 

 

PB

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